Un été dans le Haut Dolpo
Cet été, j’ai eu la chance de me rendre dans la vallée de Panzang, au cœur du Haut Dolpo, pour visiter les écoles de Tinje, Shimengaon et Poldegaon. Vingt ans après l’ouverture de l’école et dix-sept ans après ma dernière venue, ce fut une expérience à la fois éprouvante pour y accéder et profondément émouvante, marquée par la beauté des paysages, la rudesse du voyage et l’accueil chaleureux des locaux et des écoles.

Le voyage jusqu’au Bas Dolpo
L’accès au Dolpo n’est jamais simple.
La mousson, particulièrement longue et intense cette année, avait rendu les hautes vallées encore plus difficiles d’approche.
Quarante-huit heures durant, dans un bus local plein à craquer, nous avons traversé le Népal depuis Katmandou jusqu’au Bas Dolpo.
Au cours ce long périple, nous avons dû affronter routes coupées, ponts effondrés et glissements de terrain.
A deux reprises, il a fallu changer de bus, traverser à pied de longs ponts suspendus, sacs sur le dos, avant de retrouver une jeep pour rejoindre Dunai, chef-lieu du district du Bas Dolpo.

La marche vers la vallée de Dho Tarap
Depuis Dunai, nous avons entamé quatre jours de marche, ponctués de traversées de rivières impétueuses et passages à gué parfois jusqu’au niveau des cuisses.
Malgré les difficultés, l’aventure s’est déroulée dans la bonne humeur, portée par la grandeur des paysages. Les haltes du midi et les nuits se faisaient dans de modestes campements nomades où nous partagions un abri recouvert de minces tapis.
Nous avons finalement atteint la vallée de Dho Tarap, perchée à 4 200 mètres d’altitude. Nous y avons été accueillis par Konchok Gyaltsen, un de nos anciens élèves devenu chef de district. Après une journée de repos et un festival bouddhiste au monastère de Tokyu, datant du XIIe siècle, nous avons repris la route.

En moto vers la vallée de Panzang
Cette fois, c’est à moto que nous avons poursuivi notre chemin. Les sacs arrimés à l’arrière, nous avons gravi la piste boueuse menant au col de Chhoila Bhanjyang, à 5 050 mètres.
En chemin, des marmottes curieuses passaient de terriers en terriers. De l’autre côté, la descente s’ouvrait sur la vallée de la rivière Pangyang où campaient des nomades entourés de leurs troupeaux de chèvres et de moutons.
Là où il fallait autrefois une journée et demie de marche, quatre heures de piste motorisée suffisent désormais pour rejoindre la vallée de Panzang. Après ce véritable rodéo à deux roues, c’est sous un grand soleil que la vallée s’est dévoilée.
Retrouvailles à l’école de Tinje
Aux portes de la Siddhartha Kula School à Tinje, les chefs des villages, les parents, les élèves et les professeurs nous attendaient pour un accueil haut en couleur.
L’émotion était immense : dix-sept ans s’étaient écoulés depuis ma dernière visite. L’école que nous avions fait naitre avait grandi et certains anciens élèves étaient devenus professeurs et y enseignaient aujourd’hui.
Joie, souvenirs et fierté se mêlaient dans ce moment de retrouvailles intenses.

Séjour dans la vallée de Panzang
Notre arrivée dans la vallée de Panzang a débuté par une fête d’accueil. Les élèves avaient préparé chants et danses traditionnels et l’équipe pédagogique nous a reçus chaleureusement. Cette équipe est constituée majoritairement d’enseignants locaux, d’anciens élèves de l’école de Tinje venant tout juste de terminer leur cursus au foyer de Katmandou, ainsi que de trois professeurs gouvernementaux népalais du Bas Dolpo.

La journée s’est conclue par un rassemblement des villageois, formant de longues rondes de danses et de chants où chacun partageait joie et convivialité.
Les jours suivants ont alterné des temps consacrés aux écoles et des moments de vie locale.
J’ai pu assister aux cours, visiter l’école de Shimengaon et participer à l’inauguration du nouveau bâtiment de la maternelle de Poldegaon. Ces activités se mêlaient à des retrouvailles avec des amis du Dolpo, à des balades dans les alentours et à des moments festifs partagés avec les habitants.
Hébergée à l’école de Tinje, j’ai eu la chance de me retrouver au cœur de la vie scolaire et du quotidien des professeurs. Ces moments ont permis de précieux échanges avec les enseignants et les élèves, de suivre les routines de l’école et d’observer les points d’avancement ainsi que les difficultés rencontrées.
Les grands changements

Revenir au Dolpo après tant d’années m’a confrontée aux transformations qui touchent la vallée.
Si la géographie isolée de Panzang en fait toujours l’une des vallées les plus reculées du Dolpo, on y constate désormais de nouveaux aménagements et moyens de locomotion, ainsi que l’arrivée de technologies et de biens de consommation qui influent progressivement sur les modes de vie.
Malgré ces évolutions, la vallée conserve encore une économie semi-nomade, une architecture traditionnelle et un patrimoine culturel très vivant.

Un vent de jeunesse
Vingt ans après l’inauguration de l’école de Tinje, la Siddhartha Kula School, la vallée connaît un véritable renouveau porté par sa jeunesse. Des anciens élèves de l’école, revenus s’installer dans la vallée, jouent désormais un rôle central dans le développement économique et social de la région.

Parmi eux, Nyima Dondup, admis à l’école de Tinje à son ouverture, vient de terminer ses études d’avocat et a pris un poste de conseiller en droit civil et administratif au village de Tinje. Premier avocat de la région, il a pour mission d’harmoniser les affaires civiles locales avec le droit népalais et de débloquer ainsi toutes les questions administratives et légales de la vallée. Voici ses mots :
« Je suis fier d’être un représentant de la communauté et d’améliorer la vie des gens. Revenir travailler au Dolpo est une des meilleurs choses qui pouvait m’arriver.
J’ai eu de la chance d’avoir été admis à l’école de Tinje dès son ouverture pour aller jusqu’au diplôme d’avocat. »
Gnawang, issu lui aussi de la première promotion de l’école de Tinje, occupe désormais le poste de secrétaire municipal. Il gère les démarches administratives gouvernementales et porte des projets d’aménagement du territoire.
Grâce à lui, la vallée a pu établir une charte de permis de construire afin de protéger le style architectural local, notamment les toitures. L’utilisation des tôles a ainsi été interdite pour préserver les toits plats en lose et terre battue.
Il contribue également à la réglementation des zones protégées, à l’organisation des campagnes de vaccination infantile et la tenue des registres d’état civil.
Gnawang se présentera aux élections locales dans 2 ans pour le poste de maire.

Sonam Mingzon, ancienne élève de Tinje elle aussi, est devenue vétérinaire. Elle pourrait prochainement exercer dans la vallée, apportant ainsi les services de santé animale pour les communautés semi-nomades.
D’autres jeunes se lancent dans le commerce, ouvrant de petites échoppes sous tentes pour s’approvisionner en denrées variées et répondre aux besoins locaux.

Kongchok Gyaltsen, également ancien élève de Tinje, a pris la responsabilité de chef de district pour trois années. Il est en lien direct avec le gouvernement pour l’aménagement du territoire – ponts, et la mise en place de projets de d’électricité solaire.
Infirmier de formation, il porte le projet d’un petit hôpital auprès du gouvernement.
Son rêve : inciter les jeunes filles à choisir le métier de sages-femmes pour faciliter les accouchements et ouvrir une maternité équipée d’un échographe.
Cette nouvelle génération, trilingue (tibétain, népali et anglais), n’est plus isolée. Elle incarne un véritable souffle de modernité, tout en restant profondément attachée à sa culture et à son environnement. Les fruits de l’éducation se manifestent aussi dans l’hygiène et le bien-être des enfants, qui reflètent les pratiques et connaissances transmises par ces jeunes adultes.
Conclusion
Revenir au Dolpo cet été a été bien plus qu’un simple voyage : c’était une immersion dans une vallée en pleine transformation, où traditions et modernité se rencontrent avec harmonie. La vallée de Panzang, longtemps isolée, montre aujourd’hui des signes évidents de dynamisme grâce à l’engagement de sa jeunesse et aux écoles qui continuent de former des générations capables de porter le développement local et d’imaginer l’avenir du Dolpo.
Les écoles de Tinje, Shimengaon et Poldegaon ne sont pas seulement des lieux d’apprentissage ; elles sont le cœur vivant de la communauté. Elles permettent à la fois de transmettre le savoir, de renforcer les liens sociaux et de nourrir les aspirations des jeunes, qui deviennent et deviendront acteurs de leur vallée. J’ai été profondément touchée par l’accueil chaleureux des habitants, par la joie et la curiosité des élèves, et par l’engagement des enseignants et des jeunes volontaires, qui donnent leur énergie au bien commun.

Ce voyage au Népal m’a rappelé combien l’éducation peut être un levier puissant pour transformer des vies et des territoires, même dans des environnements isolés et difficiles. Mais elle m’a aussi montré que le Dolpo reste fidèle à ses racines : ses paysages grandioses, son économie semi-nomade, son architecture traditionnelle et ses fêtes culturelles continuent de rythmer la vie quotidienne, offrant encore un équilibre entre progrès et préservation.
En quittant la vallée de Panzang, je garde le souvenir de visages rayonnants des enfants des écoles, de retrouvailles inspirantes et d’un territoire qui, malgré les défis, avance vers l’avenir. Le Dolpo, à la croisée des chemins entre tradition et modernité. Avec une nouvelle génération qui saura, je l’espère, se faire entendre face à un gouvernement Népalais souvent trop inégalitaire dans la gestion des régions reculées.
Anne Lelong
Pour aller plus loin…

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Pour 10 € par mois, vous pouvez parrainer l’école de Tinje au Népal.Votre parrainage permettra non seulement d’éduquer ces enfants Tibétains aux confins de l’Himalaya, mais également de participer au développement de toute la vallée, dans le repect des traditions locales.


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